« Dans l’obscurité de la lune, nos rêves éclairent le chemin. »

 

– Titre d’un poème chinois

 

Il m’est de plus en plus difficile de mettre des mots sur ce que nous vivons collectivement depuis maintenant deux ans. Un événement suit l’autre qui laisse à peine le temps, dans la transition, de reprendre son souffle.

Si la plupart d’entre nous ont mobilisé leurs ressources, ont gardé la capacité d’agir pour leur santé et leur bien-être, force est de constater qu’en même temps un sentiment de vulnérabilité, de fragilité, voire de dépendance s’est insinué.

Notre « univers » encourageant et valorisant la responsabilité, l’autonomie, il n’est pas si facile de faire face à ces sentiments.  Nous les dédions au début de la vie et à sa fin, pour la personne malade… Et pourtant …

Ces derniers mois, comment ne pas reconnaître que la dépendance et la vulnérabilité ne sont pas des accidents de parcours qui n’arrivent qu’aux « autres », mais sont le lot de tous — y compris de ceux qui semblent les plus indépendants.

Qui directement ou indirectement n’a pas eu affaire aux personnels soignants, aux logisticiens acheminant des denrées ou fournitures en pays de guerre, ou à un thérapeute pour parler des changements de vie ?

Le philosophe Michel Foucault parlait de « rendre visible ce qui précisément est visible, c’est-à-dire de faire apparaître ce qui est si proche, ce qui est si immédiat, ce qui est si intimement lié à nous-mêmes qu’à cause de cela nous ne le percevons pas» ! Le soin de …, la sollicitude, la relation …. Mis en lumière.

Dans cette année des quinze ans de l’ISH ce constat me touche à plusieurs niveaux.

D’abord en ce qu’il rejoint une valeur forte pour moi celle de prendre soin des autres, de la nature, de l’environnement.

Ensuite parce que prendre soin est une activité. Elle suppose plus qu’une aptitude, elle demande la compréhension de tous les aspects d’une situation, la capacité d’apporter une réponse concrète, particulière et adaptée, et un apprentissage.

Elle suppose une responsabilité envers l’autre ou le monde. Une attention qui réclame la mise en œuvre d’une action durable et efficace. C’est un engagement envers l’objet de la sollicitude.

Enfin c’est un contact, un rapport immédiat, direct avec le vivant, au service de la vie. Si la théorie y a une place, elle est totalement au service de l’agir et de la relation. Au service du lien.

Je ne peux m’empêcher d’ajouter que s’il ne « brille » pas dans l’échelle de la reconnaissance professionnelle, le « prendre soin » (quelque soit le métier dont on parle) est un pilier de la vie de chacun. Je reprendrais bien le concept de l’artiste Hervé Di Rosa, un « Art modeste » en ce qu’il est « ordinaire » et en même temps précieux parce qu’inscrit dans la vie réelle.

C’est dans cet esprit que l’équipe de formateurs de l’ISH fonctionne, c’est aussi dans cet esprit que nous orientons nos formations. L’année est difficile, mais j’ai envie, nous avons envie de fêter ces quinze ans avec vous, vivants, présents ou simplement en lien, des moments pour affirmer de nouveau notre réalité de sophrologue et d’ accompagnant, notre capacité d’ouverture, et notre désir de rester en lien. Nous préparerons pour la fin d’année quelques propositions dont vous retrouverez le détail dans nos prochaines communications. Le prendre soin en sera complètement l’actualité avec cette question : comment faisons-nous pour préserver et entretenir les relations humaines, le vivant, non seulement dans nos pratiques mais aussi avec le monde?

Pour terminer je cite la politologue américaine Joan Tronto. Elle est avec une psychologue américaine Carol Gilligan à l’origine de l’Éthique du Care. Une réflexion morale et politique, développée par le mouvement féministe (très décrié chez nous, je le précise). Je retrouve dans cette citation l’esprit de ce qui est visible en ce moment. Le care est «une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde” de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, qui soutient la vie».


Jacqueline BAUDET - Directrice ISHJacqueline