Récit du dernier voyage de la frégate ISH
(et de ses vaillants équipiers)
D’une aventure commencée pour moi il y a sept ans, quand, alors simple équipier, la capitaine décida de s’entourer d’un second, afin de veiller aux destinées d’un navire à l’activité florissante.
Je relevais le défi, et appris à ses côtés l’art complexe de la navigation.
C’était encore le temps béni de l’exploration. Notre frégate à voiles rouges avait fière allure, et croisait depuis neuf ans dans les eaux généreuses d’un métier qui avait le vent en poupe.
A cette époque les apprentis marins étaient nombreux à faire leurs classes, apprenant, par les vertus de l’expérience, de l’engagement et du temps, ce que devenir sophrologue humaniste veut dire.
L’équipage, rassemblé par les qualités d’exigence et de cœur, s’activait généreusement sur le pont, donnant sens et cohérence à la réalisation de cette mission, accompagnant patiemment nos braves moussaillons, formés à trouver par eux-mêmes leur meilleure façon de ramer.
Mais le ciel bientôt s’assombrit et souffla un vent mauvais.
De l’horizon jaillirent de nouveaux pavillons, des navires marchands venus faire fortune dans ces eaux opportunes, tandis que, touchés par le climat d’incertitude et le développement de la subvention, l’essentiel des recrues exigeait désormais le financement de leur engagement.
Qu’importe, parés de notre réputation et de nos blasons, dont le titre RNCP de notre fédération, nous tenions bons, confiants dans notre capacité à faire face aux changements, et aux déferlantes administratives sans cesse grossissantes.
Surgit alors du grain ce qui n’était encore que rumeur menaçante : un vaisseau nommé France Compétences, armé par la Couronne pour régenter le trésor de guerre des fonds de la formation, et en contrôler la seule voie d’accès, l’incontournable détroit du CPF.
C’était sans compter son officieux dessein… Trop de bateaux pêchant en ces eaux, pour en bien contrôler l’usage, le remède était simple : coulons-en l’essentiel, n’en gardons que des miettes, si possible les gros.
Le vaisseau amiral, remplissant sans pitié son odieuse mission, se fit fossoyeur des mers de la formation.
Notre fédération fut la première à se présenter, sous bannière de la sophrologie, à l’ordre de renouvellement de sa lettre de marque…
Et nous inaugurâmes la grande purge !
La canonnade fut brève, sans sommation : mats abîmés, voiles déchirées, privés d’approvisionnement, les marins désertèrent nos rangs, allant garnir ceux, pour un temps, de quelques joufflus corsaires à l’éthique paresseuse.
Le coup fut très dur et la fédération, déjà meurtrie par les conflits, s’enfonça dans la division.
Mais l’ISH était toujours à flots. Toujours navigant, nous nous efforçâmes de réparer, soutenus par un équipage plus que jamais solidaire, espérant découvrir de nouvelles routes, un meilleur vent.
Quand survint un nouveau péril, une lame de fond nommée COVID, suivi d’un calme blanc, réduisant l’océan au silence, effaçant les projets, brouillant l’horizon.
Cette épreuve aurait pu, aurait dû nous être fatale. C’était sans compter la pugnacité de notre vaillant capitaine !
Confinés sur un ilot, nous mîmes à profit ce répit forcé pour préparer de nouvelles campagnes, redéfinir nos couleurs, notre place, en ces eaux devenues hostiles. Allons voir plus loin, au-delà de l’horizon sophrologique !
Nous ouvrîmes de nouvelles routes vers des contrées jusque-là effleurées : l’archipel de la Relation d’Aide (où nul n’est une île), le cap de la Sophrothérapie…
Mais rien n’y fit. Trop peu de temps, de vivres, de réponses à nos appels, un équipage épuisé… Nous dûmes nous rendre à l’évidence, cesser de ramer à contre-courant. Ces horizons que nous avions touchés du bout des rames, nous n’étions plus armés pour les explorer.
L’ISH avait réalisé sa dernière équipée.
Ainsi s’achève le récit de cette dure et grande épopée, telle que je l’ai vécu.
Malgré l’issue fatale, je n’en garde point d’amertume. Car la route fut belle, peuplée de rencontres précieuses, d’expériences fondatrices, de découvertes essentielles. J’y ai tant appris.
Bien sûr il y a la déception de n’avoir su trouver la clé, mais nous avons donné tout ce que nous pouvions, jusqu’au bout. Et sans doute cette équation était pour nous insoluble.
Depuis la terre, je regarde avec tristesse et colère l’état de la formation, j’appréhende l’avenir d’un métier où parfois je ne me reconnais plus.
Mais je vois aussi, avec ravissement, naviguer des marins aguerris et talentueux, osant relever les défis de l’humain et d’une société en crise. Et des navires défendant encore nos valeurs, traçant leur chemin pour sortir de ces eaux boueuses.
Non, décidément, le temps des explorateurs n’est pas encore révolu !
Pour conclure, je tiens à adresser mon immense gratitude à Jacqueline, capitaine au grand cœur, à tous mes amis formateurs, à nos chers stagiaires devenus sophrologues, à nos fidèles partenaires rescapés de la fédération, courage pour votre futur, et à tous ceux qui nous ont accompagnés et soutenus lors de notre traversée.
Je dédie ce récit au pirate qui sommeille en nous, celui qui, rejetant le conformisme protecteur d’une vie à la moindre saveur, ressent le souffle du vent, l’appel des horizons lointains, des espoirs et des rêves, et nous fait prendre la mer, défier les dangers, vers des rivages incertains, en quête d’un trésor sacré… Le sentiment d’exister.
Stéphane Giraudeau
Co-directeur de l’ISH