« La vie est un équilibre entre tenir bon et lâcher-prise »

Le poète persan et soufi Rûmi

 

Dans le jargon de la sophrologie, il y a « lâcher-prise ». Terme très grand public, je dirais même cliché, auquel sont attachés tous les sophrologues (non, pas vous ?). Sentence presque, qui donne une forme d’image de marque à notre métier.

En même temps, c’est vrai qu’il n’est pas utilisé que par nous ! Un coup d’œil sur internet, et les rayons des librairies en passant par la presse, finalement nous n’avons rien d’original. « Lâcher-prise » est devenu un secours, un viatique.

Dans un premier temps, ce qui m’intéresse n’est pas le (ou les) moyen(s) de lâcher prise (je vous renvoie à internet, les librairies …. Et vos pratiques !). C’est la représentation ou l’idée que l’on se fait du lâcher prise. Que ce soit pour le sophrologue ou la personne accompagnée, quelle idée générale se fait l’esprit du concept, à quelle représentation conduit l’évocation du lâcher-prise.

Un mot ne prend sens que s’il évoque une expérience, ou s’il transforme une idée en représentation mentale. Et c’est bien là l’intéressant, quelle représentation mentale a la personne du lâcher-prise ? Qu’est ce qui se met en jeu ?

Il me semble que c’est là que tout commence. Que c’est par là qu’il faut commencer.

Ces différentes nuances dans le sens du terme, je les ai rencontrées et les rencontre encore. (Il y en a peut-être d’autres que j’ai oubliées).

Il y a d’abord cette opposition :

Lâcher et prendre, en même temps !  Lâcher ce que qui est saisi. Quel mental peut se faire une représentation de la double action sans, soit rechigner, soit négocier ? Les pourquoi, les comment, les est-ce possible ….  se présentent parfois tous en même temps ! Quand ce n’est pas le doute sur ce qui est saisi, et ce qui est à lâcher. Qui n’est pas d’abord découragé, puis affligé ?

Cela nécessite d’avoir une réelle conscience de ses contrôles, de ses préoccupations habituelles, de ses certitudes, et de ses façons de penser, ou d’appréhender le monde et les autres.

Accepter le paradoxe en embrassant les deux « morceaux » de ce mot n’est pas une évidence, c’est prendre le contre-pied de la certitude logique, de la vraisemblance.

Puis il y a cette réalité :

Lâcher ce trop connu qui prend toute la place. (Volonté, problèmes, douleurs, compréhensions…) Est-ce vraiment écologique pour la personne ? Si elle s’est construite à partir de ce qui serait à lâcher, lui est-il possible de renoncer à ce qui lui a permis d’être ce qu’elle est maintenant (même si c’est également ce qui lui pose problème) ? Que mettre à la place de ce « qui prend toute la place » ?

Ce renoncement, c’est entrer dans un inconnu qui peut sembler effrayant. C’est être libre de tout ce qui nous a construit jusqu’ici ! Inconnu et liberté ne vont pas de soi. Choix de rester dans le connu qui, s’il est inconfortable, est rassurant. Un véritable enjeu !

Alors arrive l’image dangereuse :

La paroi que l’on lâche, et la chute ……….. un décrochage. Image cinématographique, « il y a eu une erreur, une faute, une « imprévision » ». Un imprévu qui pointe son nez, résultat d’un manque de conscience, ou sanction de l’extérieur.  Tout n’a pas été imaginé ou contrôlé. Avant de lâcher, il faut tenir absolument une autre prise (c’est une base en alpinisme !). Que mettre comme point d’appui, à la place de cette émotion forte, de ce problème, qui me permettra encore le mouvement ? Pas la capitulation ou la chute. Savoir ce que l’on veut et être disposé à faire des choix n’est simple pour personne.

Vient la puissance du vouloir.

Cette idée que le lâcher-prise est essentiellement une action mentale, mettre au rebut un problème, avec des il faut, on doit, yaka, foke, décider de devenir zen ! Ne jamais se mettre en colère, ne plus porter une telle attention à ses enfants ou ses amis, prendre de la distance avec telle ou telle chose qui bouleverse les valeurs. Qui y arrive ? Bien souvent vient s’ajouter un sentiment d’échec ou de culpabilité, quand ne s’installe pas le déni. La coupure …. Ne plus s’occuper de soi, de ses émotions et de ses pensées. Notre dimension existentielle (nous sommes sophrologue non ?) balayée au bénéfice de la dualité – le bon et le mauvais, le bien et le mal, le corps et l’esprit.

Toutes ces « compréhensions » sont des pensées, des représentations ! Et surtout elles sont actives, il y a quelque chose à faire, une action à entreprendre, une posture à conquérir. Avant même d’avoir vécu l’expérience, « lâcher-prise » mobilise, inquiète, fait peur. Nous avons tous besoin de garder la maitrise de notre vie.

Est ce si facile de céder, de mollir, d’abandonner, voire de capituler ? (Version passive (et négative) du lâcher-prise).

Question d’autant plus essentielle, cette représentation, que le sophrologue traite du stress et du burn-out. Deux états ou le faire est en trop. Où le message à faire passer est l’allègement de la tâche et du penser.

Il me semble que, si avant même d’entrer dans l’expérience, la pensée s’inquiète, nous sommes contre efficaces. Toute pensée est corporelle disait Luc Audouin. Comment se « somatise » ce simple mot « lâcher prise » ?

On vient « faire » de la sophrologie ! Pour régler ce qui doit l’être. Mais alors, quand pause t-on vraiment ? Comment accompagnons-nous cette pause ? Et quelles conditions préalables posons-nous pour donner accès à un état de desserrement sur la difficulté. Un état d’élargissement à la réalité du moment.

Modestement, je n’ai pas de réponse définitive. La sophrologie, comme les techniques corporelles anciennes et récentes, réinterrogent l’instant, « là où sont mes pieds », la sensorialité et la posture d’observation de ce qui est là.

Finalement ne rien faire, surtout pas faire l’effort de ne rien faire !

Ces vacances je vais les consacrer à ressentir le soleil, les embruns et l’herbe sous mes pieds, humer les foins et l’odeur de ce nouveau bébé, gouter les fruits de la mer et ceux des arbres, écouter les oiseaux et les orages, contempler les couchers de soleil et les vitraux chatoyants. Je vais lâcher-prise. Et vous ?

Bel été à vous.

Jacqueline

Lille, le 21 juin 2017